“You’re not a bad person. You’re just in a bad situation.”
Chris Voss fixe l’homme retranché dans un immeuble. À cette époque, il était négociateur au FBI, spécialisé dans les situations de crise. Il ne cherche ni à convaincre ni à intimider. Il écoute. Reformulant les craintes de son interlocuteur, laissant des silences stratégiques, il cherche à faire tomber la tension. Jusqu’à ce que l’homme se rende.
Chris Voss n’a pas cherché à argumenter, à convaincre ou à intimider. Il a simplement écouté. Véritablement. Plutôt que de presser son interlocuteur à se rendre, il a reformulé ses craintes, répété ses propos avec précision et utilisé des silences stratégiques. Petit à petit, le forcené s’est senti compris. Et, contre toute attente, il a fini par poser son arme et se livrer.
Ce qui a fait la différence ? Voss n’a pas écouté pour répondre. Il a écouté pour comprendre.
Bien sûr, nous ne sommes pas tous négociateurs du FBI, et notre quotidien ne nous confronte pas à ce type de situation. Pourtant, cette histoire illustre une réalité universelle : dans une conversation, la qualité de l’écoute détermine la qualité de l’échange.
Voyons maintenant un cas plus proche de nous, au sein d’une équipe Agile travaillant sur un produit innovant en proche banlieue parisienne…
Un problème invisible, mais omniprésent
Pauline, la développeuse full stack de l’équipe, commence à trouver ses marques. Pourtant, elle a souvent l’impression qu’on ne l’écoute pas.
Lors des réunions, elle pose des questions précises sur certaines problématiques techniques, mais les réponses qu’elle reçoit sont vagues, voire à côté du sujet. Jean-Luc, le Product Owner, est souvent absorbé par d’autres discussions et ne lui accorde qu’une attention partielle. John, le développeur backend, est plus réactif et plaisante souvent pour alléger l’ambiance, mais cela détourne parfois le sujet avant que Pauline ait pu obtenir une réponse claire.
Thomas, le Scrum Master, finit par remarquer ce schéma. Les réunions s’enchaînent, mais les décisions sont prises sur des malentendus. Chacun écoute pour répondre, pas pour comprendre. Il décide d’intervenir.
Une prise de conscience bénéfique
Avec Hugo, l’UX Designer du projet, il organise un atelier pour mettre en lumière le problème.
« Soyez honnêtes : qui ici a déjà répondu machinalement sans vraiment écouter la question ? », demande-t-il en lançant un regard appuyé à l’équipe.
Un silence s’installe, puis John brise la glace : « Attends, je vais répondre à ta question… ah non, j’écoutais pas ! »
Tout le monde éclate de rire. Mais dans la foulée, Jean-Luc, plus sérieux, admet : « OK… ça m’arrive. Parfois, je suis déjà en train de penser à la réponse avant même que la personne ait fini de parler. »
Thomas acquiesce. « Ce que tu décris, c’est exactement le piège mis en évidence par Chris Voss, ancien négociateur du FBI. Dans son livre Never Split the Difference, il explique que l’écoute active n’est ni intuitive ni innée. Dès qu’un argument nous est présenté, notre petite voix intérieure cherche immédiatement à s’exprimer. On prépare notre réponse avant même d’avoir saisi toute la phrase. Résultat ? On entend, mais on n’écoute pas. »
Il marque une pause, puis reprend : « D’ailleurs, cette semaine, j’ai pris quelques notes sur certaines de nos discussions. Je vais vous lire quelques extraits, sans mentionner qui a dit quoi. Juste pour qu’on prenne un peu de recul. »
L’équipe se redresse, intriguée. D’un ton neutre, Thomas commence la lecture. Les échanges résonnent différemment maintenant qu’ils sont extraits de leur contexte. Les interruptions sautent aux oreilles, les réponses hors sujet frappent plus fort. Certains sourient, d’autres se crispent, réalisant qu’ils se reconnaissent dans ces dialogues.
« Ah oui, ça sonne un peu sec… » souffle quelqu’un.
« J’ai vraiment dit ça ? » murmure un autre.
Sans accusation, sans mise en cause directe, Thomas vient de provoquer un déclic.
Pauline prend la parole : « C’est exactement ça. Je pose une question, et au bout de dix secondes, je vois déjà que l’autre personne pense à autre chose. »
John grimace : « Ça pique… mais c’est vrai. »
Osez une nouvelle approche
L’équipe accepte de tester une nouvelle approche. Thomas propose un exercice simple : avant de donner une réponse, chacun doit reformuler ce que la personne précédente vient de dire pour s’assurer d’avoir bien compris.
Lors du prochain refinement, Pauline pose une question sur une règle métier. Jean-Luc commence à répondre, mais Thomas l’arrête : « Reformule d’abord ce que Pauline a dit. »
Jean-Luc, surpris, s’exécute : « Si j’ai bien compris, Pauline veut savoir pourquoi cette règle varie selon les segments de clients et si on peut l’optimiser. »
Pauline sourit : « Exactement ! »
Cette simple reformulation oblige Jean-Luc à écouter attentivement. Progressivement, l’exercice devient un réflexe et l’équipe gagne en précision.
Construire un cadre de confiance
Mais l’écoute active ne fonctionne que si l’équipe se sent en sécurité psychologique, c’est-à-dire dans un environnement où chacun peut s’exprimer librement, poser des questions, partager ses doutes ou reconnaître ses erreurs sans crainte d’être critiqué, ignoré ou sanctionné. Thomas veille à ce que chaque voix soit entendue, même les plus discrètes, en instaurant un climat de confiance où l’écoute et le respect mutuel priment sur la peur du jugement. Il introduit des règles comme :
- Ne pas couper la parole, même si l’on pense avoir compris.
- Prendre trois secondes de réflexion avant de répondre, pour éviter les réactions instinctives.
- Poser des questions ouvertes au lieu de réfuter immédiatement un point de vue et argumenter.
Résultats et apprentissages
En quelques sprints, l’impact est tangible : moins d’erreurs d’interprétation, des décisions plus robustes et une meilleure fluidité dans les discussions. L’équipe constate aussi une montée en compétence collective : chacun apprend des autres au lieu de camper sur ses certitudes.
À retenir:
- Reformuler avant de répondre permet d’assurer une véritable compréhension et d’éviter les biais d’interprétation. Cette pratique, bien qu’efficace, ne doit pas être systématique. Elle est particulièrement utile dans les situations complexes ou émotionnelles où les risques de malentendus sont élevés.
- Un climat de sécurité psychologique est indispensable pour que chacun ose s’exprimer.
- L’écoute n’est pas passive : elle implique de remettre en question ses propres convictions et d’intégrer les perspectives des autres.
- L’agilité n’est pas qu’une question de méthode, c’est un état d’esprit. Et dans cet état d’esprit, écouter est sans doute aussi important que coder, designer ou gérer un backlog.
Référence
- Découvrez les principes de l’écoute active appliqués à la négociation dans Never Split the Difference de Chris Voss (The Black Swan Group)