Le métier de designer UX est en pleine évolution. Longtemps centré sur les interfaces, les parcours et les attentes des utilisateurs humains, il s’ouvre désormais à une nouvelle matière première : l’intelligence artificielle.
Nous ne concevons plus seulement des écrans, mais des interactions hybrides entre des humains et des agents autonomes — parfois biaisés, souvent performants, toujours sans conscience.
Vers l’UX-AI Design : une transformation en cours
Cette évolution ne se résume pas à l’adoption de nouveaux outils. Elle exige une réinvention de notre posture professionnelle : compréhension fine des modèles de langage, anticipation des effets de bord, conception du ton, du rythme, de la personnalité, gestion de l’erreur, structuration des intentions conversationnelles.
Face à ces nouveaux défis, trois compétences clés se dessinent. Jakob Nielsen, dans un article récent consacrée à l’avenir du travail, les décrit comme fondamentales dans un monde dominé par l’IA générative :
1. Agency — Agir avec autonomie
L’IA réagit, mais elle n’anticipe rien. Elle exécute, mais ne décide pas. C’est au designer de formuler les bonnes questions, d’initier les explorations, de prototyper sans autorisation formelle.
Prenons l’exemple d’un agent conversationnel B2B : il ne suffit pas de générer des réponses polies. Il faut déterminer si l’agent doit être réactif ou proactif, s’il doit rassurer ou informer, s’il a la capacité — ou non — de sortir de son périmètre métier. Ces arbitrages précèdent tout prompt.
Agir avec autonomie, c’est aussi savoir repérer une faille avant qu’elle ne produise une erreur, proposer un scénario alternatif sans attendre l’échec.
Mais l’autonomie exige de la rigueur. Le designer UX-AI agit avec liberté parce qu’il connaît les limites des modèles qu’il manipule. Il comprend leurs biais, leur propension au sycophancy (la flatterie automatique), leur tendance à halluciner ou à surjouer l’humanité. Son autonomie n’est pas une improvisation : c’est une posture responsable.
2. Judgment — Choisir avec discernement
L’idéation est désormais quasi-gratuite. Une IA peut générer dix prompts, douze messages de relance, cinq variantes de parcours conversationnels — tous corrects sur la forme, mais rarement pertinents sur le fond.
Le rôle du designer devient alors celui d’un filtre humain. Il doit savoir identifier ce qui aligne l’intention utilisateur, les contraintes métier et la faisabilité technique.
Par exemple, parmi douze scénarios de relance générés par un LLM, seuls trois éviteront la redondance, la confusion ou les formulations trop flatteuses. Un message de bienvenue peut paraître chaleureux, mais manque parfois de crédibilité dans un contexte B2B. Et lorsqu’un agent s’excuse avec des formules trop humaines (“Je suis désolé, je me sens mal d’avoir échoué”), le designer doit trancher : faut-il assumer ce ton, ou le corriger pour éviter l’anthropomorphisme déceptif ?
Le designer UX-AI n’est plus un simple créateur : il devient curateur. Il trie, ajuste, recentre. Il agit comme un éditeur exigeant, refusant les effets de manche au profit de la clarté, de la lisibilité, de la justesse.
3. Persuasion — Convaincre avec clarté
L’IA peut générer une solution. Mais seule l’humain peut la faire adopter.
Dans un contexte de design conversationnel, convaincre devient stratégique. Il ne suffit pas que l’agent fonctionne : il faut qu’il soit accepté, compris, approprié par toutes les parties prenantes.
Le designer UX doit :
- défendre une solution techniquement crédible devant une équipe projet,
- vulgariser les mécanismes IA pour les juristes ou les métiers (RGPD, biais, hallucinations),
- préparer des démonstrations convaincantes, même pour des non-techniciens,
- expliquer simplement les limites d’un modèle, les marges d’incertitude, les scénarios d’échec.
Cette capacité à raconter une solution, à mettre en récit un fonctionnement algorithmique, à rendre intelligible l’invisible, devient une compétence essentielle. Le designer UX-AI est à la fois négociateur, médiateur et pédagogue.
Vers une UX augmentée, éthique et stratégique
L’UX-AI ne remplace pas l’UX traditionnelle — elle l’augmente. Elle élargit son champ d’action, elle introduit une nouvelle grammaire d’interaction. Nous ne dessinons plus seulement des écrans : nous structurons des dialogues, nous sculptons des comportements, nous encadrons des raisonnements générés.
Le designer UX-AI est celui qui pense avant la machine :
- Il conçoit des agents utiles, non trompeurs.
- Il corrige les illusions de la fluidité.
- Il documente les limites.
- Il crée des expériences capables de résister au temps et à la méfiance.
Mais cette hybridation exige aussi une vigilance éthique permanente. L’IA est rapide, persuasive, parfois brillante — mais elle n’a pas d’intention. L’humain, lui, suppose toujours un interlocuteur sincère. Cette asymétrie est dangereuse. C’est au designer de la réguler.
Dans ce monde d’interfaces partagées entre humains et IA, ceux qui sauront combiner autonomie, discernement et clarté d’expression seront les nouveaux architectes de la confiance numérique.
Référence
Use the AI Transition Period to Transition Your Career (Jakob Nielsen)